L’action paulienne : un outil clé pour protéger les droits des créanciers en cas de fraude du débiteur. Un guide complet rédigé par un avocat en contentieux à Paris.
L’article 1341-2 du Code civil prévoit que le créancier peut demander qu’un acte fait en fraude de ses droits lui soit déclaré inopposable.
L’action paulienne ne remet pas en cause la validité de l’acte lui-même, mais elle permet au créancier d’écarter ses effets à son encontre. Elle est donc une action en inopposabilité, personnelle, fondée sur la fraude.
Exemple concret :
Un débiteur, poursuivi en paiement, cède un bien immobilier à son frère à un prix sous-évalué. Le créancier, constatant l’appauvrissement du débiteur, peut introduire une action paulienne pour que cette vente lui soit déclarée inopposable, et ainsi récupérer le bien dans l’assiette de son gage.
L’action est offerte à tout créancier, privilégié ou chirographaire, dès lors que sa créance est certaine à la date de l’acte du débiteur.
• Une créance conditionnelle ou à terme peut être recevable, si sa naissance est antérieure à l’acte litigieux (Cass. 1re civ., 14 sept. 2022, n° 17-15.388).
• Il appartient au créancier de prouver l’antériorité, parfois par analyse contractuelle ou comptable.
Tout acte à caractère patrimonial peut être visé :
• Donations déguisées ou indirectes,
• Renonciation à succession,
• Cessions d’actifs douteuses,
• Apport en société,
• Création de sociétés interposées,
• Affectation en garantie en vue d’éviction.
Jurisprudence :
• Cass. civ., 6 févr. 1996 : une donation avec clause de retour est visée.
• Cass. com., 12 janv. 1988 : la vente d’un fonds de commerce en fraude des créanciers peut être inopposable.
L’homologation d’un protocole ou d’une transaction n’interdit pas l’action paulienne. Voir analyse infra.
Trois conditions cumulatives sont exigées :
• Elle peut être conditionnelle ou non exigible, à condition qu’elle soit en germe au moment de l’acte (Cass. com. 5 mars 1991).
L’acte attaqué doit diminuer l’actif saisissable.
Exemples d’appauvrissement reconnus :
• Renonciation à une succession grevée d’usufruit (Cass. civ., 7 nov. 1984)
• Vente à prix minoré
• Transmission de biens à une société contrôlée
Il n’est pas nécessaire de prouver l’insolvabilité complète : un simple rétrécissement du gage commun suffit.
La fraude est caractérisée par la conscience du débiteur de nuire aux droits de son créancier.
• Pour un acte gratuit : seule la fraude du débiteur est exigée.
• Pour un acte onéreux : la complicité du tiers doit être prouvée.
Jurisprudence
• Cass. civ., 1967 et 1972 : suffit que le tiers connaisse la situation du débiteur.
• Cass. com., 9 janv. 2001 : la complicité peut être présumée par les circonstances.
L’acte reste valable entre les parties, mais inopposable au créancier.
Il peut :
• Saisir le bien comme s’il appartenait au débiteur
• Obtenir le versement en nature ou en valeur du bien évincé
• L’action peut être dirigée contre le sous-acquéreur complice.
• À défaut : seule une indemnisation des complices est possible (CA Limoges, 16 mai 1939).
Si la restitution du bien est impossible, le créancier peut obtenir des dommages-intérêts.
Des photographes, créanciers d’une agence placée en redressement, attaquent une cession d’entreprise et une transaction homologuée, les soupçonnant d’avoir vidé le patrimoine de leur débiteur.
La Cour d’appel déclare l’action irrecevable.
La Cour de cassation censure : l’homologation judiciaire de la transaction ne fait pas obstacle à l’action paulienne.
Le juge de l’homologation ne contrôle que la convention elle-même, pas son effet à l’égard des tiers.
🛑 Une simple homologation ne « protège » donc pas un acte contre l’analyse de fraude.
L’action oblique et l’action paulienne sont deux mécanismes mis à la disposition des créanciers pour protéger leurs droits lorsque le débiteur compromet leur possibilité de paiement, mais leurs fondements et leurs objectifs diffèrent radicalement.
L’action oblique (article 1341-1 du Code civil) permet au créancier d’agir au nom et pour le compte de son débiteur lorsque celui-ci, par abstention ou négligence, compromet la conservation de son patrimoine et donc la garantie du créancier. Il s’agit d’une action « indirecte » : le créancier exerce une prérogative qui appartient normalement au débiteur, afin d’éviter que l’inaction de ce dernier n’aggrave la perte potentielle.
Exemple :
Un débiteur refuse d’exercer une action en responsabilité contre un tiers qui lui doit de l’argent. Le créancier, craignant que ce manque d’initiative l’empêche d’être payé, agit à la place du débiteur pour intenter l’action et préserver l’actif du patrimoine.
L’action paulienne (article 1341-2 du Code civil), quant à elle, est une action « personnelle » du créancier qui vise à rendre inopposables les actes faits en fraude de ses droits par le débiteur, notamment lorsque celui-ci organise son insolvabilité en cédant ses biens à des proches ou en réalisant des opérations douteuses.
Exemple :
Un débiteur fait une donation à un tiers pour échapper à ses créanciers. L’action paulienne permet à un créancier lésé d’obtenir que la donation soit déclarée inopposable, et donc de saisir le bien comme s’il appartenait encore au débiteur.
À retenir :
• Action oblique : vise l’inaction fautive du débiteur – le créancier agit « pour préserver le patrimoine »,
• Action paulienne : vise la fraude active du débiteur – le créancier agit « pour réintégrer un bien écarté par fraude » dans le gage commun.
C’est une action qui vise à écarter les effets d’un acte, sans contester sa validité entre les parties. L’acte demeure, mais le créancier « l’ignore juridiquement ».
À tout créancier disposant d’une créance certaine et antérieure à l’acte frauduleux.
• L’action oblique suppose une inaction à réparer.
• L’action paulienne réagit à une fraude destinée à vous priver de votre droit de gage.
• Article 1341-2 C. civ. : action paulienne
• Article 1341-1 C. civ. : action oblique
• Surveillez les actes juridiques de votre débiteur (apports, ventes à proches…).
• Vérifiez que votre créance remplit bien les conditions d’antériorité et de certitude.
• Collectez les indices de fraude : vente précipitée, relation avec l’acquéreur, prix hors marché…
• La prescription est de cinq ans à compter de la connaissance de la fraude (C. civ. art. 2224).
L’action paulienne est un instrument fondamental pour les créanciers, permettant de faire revenir dans le gage commun les biens « évacués » de manière frauduleuse.
Elle peut s’avérer déterminante dans les procédures d’exécution, notamment face à des pratiques de dissimulation d’actifs ou des montages hérités du contentieux des affaires.
Elle demande en pratique une analyse rigoureuse des preuves, une maîtrise de la jurisprudence et un suivi fin du patrimoine du débiteur.
✍️ Rédigé par Guillaume Leclerc, avocat au barreau de Paris, spécialiste en contentieux commerciaux et contrats (Victoris Avocat)