Découvrez tout sur l’exception d’inexécution en matière de baux commerciaux : définition, conditions, exemples pratiques, clause-type, jurisprudence récente, réponses aux questions fréquentes, et conseils d’avocat pour bien protéger vos droits en tant que locataire ou bailleur.
L’exception d’inexécution occupe une place centrale dans la gestion des litiges entre bailleur et locataire commercial.
Bénéficiant d’une codification renforcée depuis la réforme du droit des contrats (ordonnance du 10 février 2016), ce mécanisme fondamental permet à une partie à un contrat synallagmatique de suspendre sa propre exécution tant que l’autre n’a pas exécuté la sienne de façon suffisamment grave.
Si vous êtes commerçant, artisan ou bailleur, personnalisez vos stratégies contractuelles grâce à cette analyse claire, technique et pratique.
L’exception d’inexécution, souvent évoquée latin “exceptio non adimpleti contractus”, est prévue à l’article 1219 du Code civil :
« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
Concrètement :
• Le locataire (preneur) peut suspendre, par exemple, le paiement du loyer si le bailleur ne remplit pas ses obligations principales (délivrance, entretien, jouissance paisible…),
• Cette suspension reste exceptionnelle : elle ne peut intervenir que lorsque l’inexécution du bailleur est d’une gravité suffisante.
Le bail commercial est un contrat synallagmatique : chacune des parties tire une obligation de l’autre. Ce mécanisme d’équilibre permet d’éviter que l’une des parties soit tenue de s’exécuter si elle ne reçoit pas ce à quoi elle a droit.
Pour que le locataire puisse valablement suspendre le paiement du loyer sur le fondement de l’exception d’inexécution :
• Gravité de l’inexécution : Le manquement du bailleur doit empêcher totalement ou rendre impossible l’usage des locaux à la destination contractuelle,
• Une gêne, une simple dégradation limitée ou une jouissance partielle restent insuffisantes,
• Imputabilité au bailleur : Les troubles ou défauts doivent être la conséquence du comportement ou de l’inaction du bailleur et non du preneur ou de tiers,
• Existence d’un lien de causalité entre l’inexécution et la suspension des obligations du preneur.
Exemple jurisprudentiel
Dans un arrêt du 10 octobre 2024, la Cour de cassation a jugé que le locataire d’un local vétuste ne peut suspendre le paiement du loyer que s’il est dans l’impossibilité totale d’exploiter les lieux à leur destination.
Un locataire invoquant des infiltrations d’eau n’a pas pu se prévaloir de l’exception d’inexécution car ces infiltrations ne rendaient pas les locaux “inexploitables”.
Point pratique : Article 1719 du Code civil et obligation de délivrance
Le bailleur est tenu :
• De délivrer au preneur la chose louée et de maintenir la jouissance paisible des locaux,
• D’entretenir « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (art. 1719 C. civ).
• Notification : il est fortement conseillé au locataire d’alerter le bailleur, par écrit (lettre recommandée), avant de suspendre le paiement du loyer,
• Le locataire doit prouver la gravité du manquement : il doit démontrer l’impossibilité d’exploiter conformément à la destination contractuelle.
La plupart des baux commerciaux prévoient une clause résolutoire : elle permet la résiliation automatique du contrat en cas de non-paiement du loyer.
Toutefois, la jurisprudence admet que la clause résolutoire ne peut produire effet si le locataire démontre que son défaut de paiement est justifié par une exception d’inexécution légitime, c’est-à-dire par un manquement suffisamment grave imputable au bailleur.
Attention :
• Les juges apprécient strictement la gravité du manquement,
• Une simple gêne, un défaut d’entretien limité, ou des désordres réparés dans un délai raisonnable, ne suffisent pas.
• Si le locataire suspend le paiement sans cause réelle et sérieuse, il s’expose à la résiliation et à l’expulsion,
• L’exception d’inexécution, invoquée à tort ou sans preuve, peut être jugée abusive par le tribunal.
• Affaissement du plancher : Le locataire a informé trop tard le bailleur de désordres : partage de responsabilité, le locataire doit réagir rapidement,
• Infiltrations répétées : Non-réalisation des travaux indispensables qui rendent les locaux inexploitables, suspension possible du paiement du loyer,
• Absence de délivrance des clefs ou impossibilité d’accéder au local : le locataire peut suspendre le paiement,
• Impossibilité totale d’accès ou exploitation interdite par une décision administrative liée à la structure du local.
• Nuisances mineures, travaux différés mais réalisés, accès partiel non contesté : le juge dénie au locataire le droit de suspendre son obligation principale,
• Désordres réparés rapidement : si les dégâts sont ponctuels et le bailleur diligent.
Clause-type (à adapter) :
« En cas de manquement grave du bailleur à ses obligations de délivrance, d’entretien ou de jouissance paisible du bien, et après mise en demeure restée sans effet dans un délai de trente (30) jours, le preneur pourra suspendre le paiement du loyer jusqu’à la parfaite exécution par le bailleur de ses obligations, sous réserve de la gravité du manquement démontrée par le preneur. »
Prudence : La clause doit préciser la procédure : notification, délais, constatation contradictoire, médiation éventuelle.
Vous devez prouver (le cas échéant devant un Tribunal) :
• L’existence d’un manquement grave du bailleur à ses obligations contractuelles (délivrance, entretien, jouissance paisible…),
• Que ce manquement rend le local totalement inexplorable ou inutilisable conformément à la destination prévue,
• Que vous avez informé le bailleur et qu’il n’a pas réagi dans un délai raisonnable.
C’est le droit, pour le locataire, de suspendre (temporairement) le paiement du loyer si le bailleur ne respecte pas ses obligations essentielles, le tout sous contrôle du juge, en évitant tout abus.
• Impayé de loyer non justifié par une exception d’inexécution légitime,
• Inexécution grave des obligations contractuelles de part et d’autre (par ex. : transformation non autorisée des lieux, usage non conforme, abandon des locaux…),
• Application de la clause résolutoire selon la procédure prévue au contrat.
1. Un manquement du bailleur rendant impossible l’usage du local (condition de gravité et imputabilité).
2. L’existence d’un lien direct entre le manquement et l’obligation dont vous souhaitez suspendre l’exécution (par ex. : payer le loyer).
Oui, mais le juge exige également que le manquement du bailleur soit grave : logement indécent, insalubre ou inhabitable ; la jurisprudence reste toutefois plus restrictive et protège davantage le bailleur contre la suspension du paiement des loyers.
• Article 1219 : Exception d’inexécution.
• Article 1220 : Exception d’inexécution par anticipation (lorsqu’il est manifeste que le cocontractant ne s’exécutera pas).
• Article 1719 : Obligations du bailleur.
• Article 1728 : Obligations du locataire.
Non, le locataire peut suspendre le paiement si le local est inexploitable du fait du bailleur, mais cette situation doit être exceptionnelle et prouvée.
Non, elle la neutralise uniquement si l’inexécution du bailleur est suffisamment grave et qu’elle rend le local impropre à sa destination. À défaut, le bailleur pourra faire jouer la clause résolutoire et obtenir la résiliation du bail.
• Accepté : Locaux fermés administrativement pour vices de structure imputables au bailleur ; impossibilité totale d’exploiter.
• Refusé : Simples travaux de réparation, gêne limitée, usage partiel possible.
• Toujours privilégier la notification écrite et la preuve.
• Consulter un avocat pour évaluer la gravité du manquement avant de suspendre le paiement.
• Engager une expertise pour constater l’inexploitation du local.
• Ne jamais suspendre sa propre obligation sans avoir alerté le bailleur et tenté une résolution amiable.
L’exception d’inexécution en matière de baux commerciaux est un outil puissant mais dangereux. Son usage nécessite une analyse rigoureuse, une parfaite maîtrise de la jurisprudence et du texte du bail, ainsi qu’une documentation irréprochable. En cas de doute, sollicitez toujours l’accompagnement d’un avocat rompu au contentieux locatif commercial.
Cet article vous est proposé par Me Guillaume Leclerc, avocat en contrats commerciaux et contentieux commerciaux à Paris.