L’obligation de délivrance conforme en droit des baux commerciaux impose au bailleur de livrer et de maintenir le bien loué en état, selon la destination contractuelle, pendant toute la durée du bail. Découvrez toutes les subtilités juridiques, la jurisprudence récente et des exemples concrets pour sécuriser la relation bailleur/locataire.
L’obligation de délivrance conforme fait partie des piliers du droit des baux commerciaux. Elle exige du bailleur qu’il remette au locataire un local conforme à l’usage stipulé au contrat, aussi bien du point de vue matériel, juridique qu’administratif. Cette obligation s’impose tout au long du bail, non seulement à la prise de possession, mais aussi durant l’exécution du contrat.
L’obligation de délivrance conforme s’appuie principalement sur l’article 1719 du Code civil. Le bailleur est tenu, « par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ». Il s’agit d’une obligation essentielle du contrat de bail, dont la finalité est de permettre au locataire d’exercer effectivement son activité conformément à la destination contractuelle des locaux.
• Matérielle : Le local doit être en état de servir à l’activité prévue au bail dès la remise des clés et pendant toute la durée du bail (ex : absence de vices, conformité des installations électriques, accessibilité…).
• Juridique : Les locaux doivent être exploitables selon la réglementation en vigueur (permis de construire, autorisation d’exploitation…), et libres de toute entrave ou restriction (copropriété, urbanisme).
• Administrative : Le bailleur doit, le cas échéant, fournir tous les documents obligatoires (diagnostics, état des risques, conformité ERP, etc.).
La Cour de cassation considère que l’obligation de délivrance est une obligation de résultat. Le bailleur s’engage à délivrer un bien conforme à la destination prévue, que l’empêchement soit matériel, juridique ou administratif. L’échec de cette délivrance engage sa responsabilité, peu importe sa bonne foi ou la survenance ultérieure de normes nouvelles.
• La location d’un local sans permis de construire ou non conforme aux normes d’accessibilité est un manquement à l’obligation de délivrance, même si le locataire avait eu connaissance des irrégularités avant la signature du bail.
• Même en présence d’une clause de prise des locaux « en l’état », le bailleur reste tenu de délivrer un bien conforme à la destination prévue.
Contrairement à une idée reçue, l’obligation de délivrance n’est pas figée dans le temps : elle s’applique pendant toute la durée du bail. Un manquement persistant du bailleur justifie une action tardive du locataire, y compris plusieurs années après l’entrée en jouissance.
Si le bailleur ampute les locaux d’une partie et que la réduction perdure, le locataire peut agir même au-delà du délai de prescription classique tant que le manquement subsiste.
Le bailleur doit veiller à la conformité du bien tout au long du bail. La jurisprudence impose au bailleur de procéder, si nécessaire, aux travaux requis pour maintenir la conformité du local à la réglementation et à la destination contractuelle.
Tout défaut rend possible des actions en exécution forcée, suspension du paiement du loyer (exception d’inexécution), ou résiliation judiciaire du bail.
Aucune clause contractuelle ne peut exonérer le bailleur de son obligation de délivrance conforme dans sa substance : les clauses limitant cette obligation, si elles vident l’obligation de sa substance, sont réputées non écrites. Seules des aménagements précis et limités sont admis : transfert de certains travaux non structurels (entretien courant, petites réparations), mais jamais des travaux affectant la structure ou la conformité fondamentale.
“Le preneur prendra les locaux dans l’état où ils se trouvent et renonce à tout recours pour vices cachés ou apparents, défauts ou malfaçons.”
Cette clause est inopposable concernant tout vice ou défaut qui empêcherait l’usage normal des locaux selon la destination prévue.
“Le preneur prendra à sa charge l’entretien ordinaire et les menues réparations, à l’exclusion de celles affectant la structure de l’immeuble et la conformité des locaux à l’usage prévu au bail.”
Ce type de clause répartit les éléments d’entretien sans porter atteinte à la substance de l’obligation de délivrance conforme.
Jurisprudence :
• Manque à son obligation le bailleur qui délivre un local dont la structure est affectée de désordres (par ex. : infiltrations, effondrement de plancher, locaux impropres à l’usage prévu).
• Le transfert de l’obligation de réaliser certains aménagements peut être admis, à condition d’être explicite et de ne pas décharger le bailleur de ses obligations essentielles.
Le bailleur demeure responsable de maintenir la conformité du bien, même si la réglementation évolue après la conclusion du bail. Il lui incombe de réaliser, sauf stipulation expresse et licite contraire, les travaux de mise aux normes.
Exemples concrets :
• Une règlementation rend obligatoire un système d’extraction d’air : le bailleur, et non le locataire, assume le coût des travaux, sauf clause précise et acceptée.
• Transformation du local ou modification de sa destination : le bailleur doit vérifier la conformité et agir pour permettre l’exploitation conforme à la législation.
Les différents recours du locataire
• Exécution forcée : Demande au juge d’ordonner la mise en conformité ou la réalisation des travaux nécessaires.
• Exception d’inexécution : Possibilité de suspendre le paiement du loyer si le manquement justifie une impossibilité d’usage du local.
• Réduction du loyer ou dommages-intérêts : Indemnisation du préjudice lié au défaut de délivrance (ex : baisse d’activité, impossibilité d’exploiter une partie des locaux).
• Résiliation judiciaire du bail : Si le manquement est suffisamment grave et qu’aucune régularisation n’est possible.
Exemples jurisprudentiels
• Résiliation judiciaire en cas de réduction impromptue de la surface louée ou d’impossibilité d’exploiter à cause d’un vice non traité.
• Suspension de paiement du loyer lors de la fermeture d’un commerce en raison de la non-conformité administrative.
• Refus d’exonération du bailleur malgré des clauses contractuelles étendues.
L’obligation de délivrance conforme s’applique pleinement aux baux commerciaux conclus entre professionnels. Si les relations entre professionnels permettent une négociation plus libre, le juge veille à ce que les clauses ne privent pas le bailleur de ses obligations essentielles. Les mêmes principes s’appliquent s’agissant de la conformité matérielle, juridique et administrative.
L’action fondée sur le manquement à l’obligation de délivrance conforme est soumise à la prescription de droit commun de cinq ans. Toutefois, le délai ne court qu’à partir du moment où le manquement prend fin : si le défaut de délivrance persiste, l’action reste ouverte tant que la situation n’est pas régularisée.
Illustration récente
• Lorsque le bailleur maintient un état non conforme (exemple : surface amputée) pendant la durée du bail, le locataire peut agir jusqu’à régularisation, même au-delà de cinq ans après la découverte initiale du manquement.
• Local inadapté administrativement à l’activité prévue (absence de permis, non-conformité aux normes ERP/PMR, impossibilité d’obtenir une autorisation administrative).
• Interdiction d’exploiter un commerce pour cause de non-respect du règlement de copropriété (exemple : activité de restauration prohibée).
• Défauts structurels majeurs : effondrement, vices affectant la sécurité, absence d’étanchéité, installation électrique dangereuse.
• Manquement partiel : impossibilité d’utiliser une partie des locaux, réduisant l’activité louée.
• Refus du bailleur d’assurer des travaux pourtant nécessaires à l’usage contractuel (mise aux normes…).
Même lorsque le bail prévoit une entrée dans les lieux « en l’état », cela ne suffit jamais à décharger totalement le bailleur de son obligation : il reste toujours responsable de garantir la conformité structurelle et réglementaire indispensable à l’activité, sauf aménagements contractuels particulièrement circonscrits et expressement acceptés, sans priver de sa substance l’obligation de délivrance.
À éviter :
• Clauses générales de renonciation à recours, de prise des locaux « en l’état » ou d’exonération totale du bailleur.
• Clauses floues concernant la prise en charge des travaux de conformité.
Conseils pratiques pour la rédaction :
• Identifier spécifiquement les travaux devant rester à la charge du bailleur (structure, conformité, normes sanitaires/sécurité…).
• Limiter, de manière précise, la prise en charge du locataire à certains travaux d’entretien courant.
• Préciser, si besoin, les modalités de prise en charge des travaux imposés par l’administration.
L’obligation de délivrance conforme impose au bailleur de remettre au locataire un bien conforme à la destination contractuelle, en état d’être exploité, exempt de vices et conforme à la réglementation applicable, pendant toute la durée du bail.
L’obligation de délivrance concerne la remise du bien loué conformément à ce qui a été promis contractuellement, ainsi que le maintien de cet état pendant l’exécution du contrat, indépendamment des clauses stipulées à l’inverse.
La prescription est de cinq ans, mais elle ne commence à courir que lorsque le manquement cesse. Tant qu’il perdure, l’action reste ouverte en faveur du locataire.
La rigueur de l’obligation de délivrance demeure, même entre professionnels. Si des clauses spécifiques peuvent répartir certains travaux ou obligations accessoires, l’obligation de délivrance, dans sa substance, ne peut être écartée.
L’obligation de délivrance conforme est à la fois un outil de protection et un point de vigilance pour les bailleurs comme pour les locataires professionnels. Sa dimension évolutive interdit toute négligence dans la conformité permanente des locaux loués. Bien que l’aménagement contractuel soit possible sur des aspects secondaires, le cœur de l’obligation reste intangible. Prendre le temps de rédiger, vérifier et ajuster les clauses du bail, et veiller à l’évolution réglementaire, sont indispensables pour éviter de lourds contentieux.
Guillaume Leclerc, avocat au Barreau de Paris en contrats commerciaux et contentieux des affaires.
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