Ruptures brutales et concurrence déloyale
18/9/25

Rupture des relations commerciales établies : guide complet

La rupture brutale des relations commerciales établies est strictement encadrée par l’article L.442-1, II du Code de commerce. Définition, conditions, durée du préavis, jurisprudence récente et exemples concrets : toutes les réponses pour comprendre et gérer ce contentieux majeur en droit commercial.

Qu’est-ce qu’une relation commerciale établie ?

Définition juridique


Une relation commerciale établie se caractérise par la régularité, la stabilité et la durée suffisantes des échanges entre partenaires. Cette relation n’implique pas nécessairement la formalisation par un contrat écrit. Une succession de bons de commande, de factures ou un simple courant d’affaires continu peut suffire, dès lors que le partenaire pouvait légitimement envisager une certaine pérennité dans la poursuite des affaires.


Exemple concret :


Un fournisseur travaillant chaque année depuis plus de 10 ans avec une enseigne de distribution, sur la base de commandes répétées, bénéficie d’une relation commerciale établie, même sans contrat cadre.

Jurisprudence


La Cour de cassation considère que la relation peut être établie même sans écrit si la continuité et la récurrence des échanges autorisaient une confiance légitime en la stabilité de la relation (Cass. com. 17 mars 2004).

Encadré pédagogique


Une mise en concurrence systématique (appels d’offres réguliers) fait obstacle au caractère établi, car la relation devient par essence précaire.

Qu’est-ce qu’une rupture brutale de la relation commerciale ?

Fondements normatifs et article L.442-1 du Code de commerce

L’article L.442-1, II du Code de commerce interdit à toute personne exerçant une activité de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans un préavis écrit tenant compte notamment de la durée de la relation, des usages ou des accords interprofessionnels.

Point de vue d’avocat
L’action ne vise pas à empêcher la rupture elle-même, mais à sanctionner la brutalité de celle-ci, c’est-à-dire l’absence de préavis ou un préavis manifestement insuffisant pour permettre au partenaire évincé de s’adapter.

Les formes de rupture sanctionnées

  • Rupture totale (arrêt complet de la relation)
  • Rupture partielle (réduction substantielle des volumes, déférencement d’une gamme entière, modification substantielle des conditions commerciales)

Exemple concret


Un fabricant qui stoppe toutes commandes à un sous-traitant du jour au lendemain, ou qui retire l’essentiel d’une gamme de produits du référencement du distributeur avec effet immédiat, expose sa responsabilité au titre de la rupture brutale.

Quand parle-t-on de rupture abusive ou brutale d’un contrat commercial ?

Nuance fondamentale
La rupture abusive sanctionne une violation fautive du contrat (hors force majeure ou inexécution suffisamment grave), tandis que la rupture brutale sanctionne avant tout le caractère soudain de l’arrêt, indépendamment de l’existence d’un tout éventuel manquement contractuel.

Exemple concret
Une entreprise met fin du jour au lendemain à une collaboration de longue date avec un fournisseur, sans préavis, alors que celui-ci dépend économiquement de cette relation : il s’agit d’une rupture brutale, même si aucun contrat écrit ne liait les deux parties.

Les conditions d’engagement de la responsabilité pour rupture brutale

Qui peut agir ?

  • Toute personne (physique ou morale) exerçant une activité de production, de distribution ou de services, dès lors qu’elle entretient une relation économique caractérisant une relation commerciale établie.
  • Les professions libérales et activités non commerciales sont exclues (ex : avocat/client).

Les liens concernés

  • Relations issues de contrats écrits, tacites ou simples courants d’affaires.
  • Exclusions : octroi/retrait de crédit, coopératives et relations relevant de contrats réglementés (transport, agent commercial, etc.).

Le formalisme et la durée du préavis en cas de rupture

Formalisme du préavis

  • Un préavis écrit est obligatoire.
  • Il doit énoncer sans ambiguïté la volonté de mettre fin à la relation et préciser la date exacte de celle-ci.

Appréciation de la durée suffisante

Critères d’appréciation par les juges

  • Durée totale de la relation
  • Volume d’affaires, dépendance économique
  • Notoriété du client, spécificité sectorielle, saisonnalité
  • Nécessité de permettre la réorganisation de la victime

Plafond légal
La durée du préavis ne peut excéder 18 mois, quels que soient l’ancienneté de la relation ou le secteur d’activité (article L.442-1, II C. com.).

Tableau de synthèse – Durée du préavis jugée nécessaire

Durée de la relation

Préavis jugé suffisant

Durée de la relation Préavis jugé suffisant
9 ans (distribution) 9 mois
10 ans (exclusivité) 10 mois
13 ans (concession) 12 mois (selon saisonnalité)
20 ans (expertise) 12 mois – 1 an
2,5 ans (fourniture) 3 mois
4 ans (pièces détachées) 5 mois

Exemple pédagogique
Un distributeur manquant de diversifier ses sources et dépendant d’un fournisseur peut prétendre à un préavis plus long. À l’inverse, le juge peut estimer qu’un préavis plus court était suffisant si la saisonnalité ou la configuration du marché permettait une réorganisation rapide.

Préavis et circonstances de dispense

Le préavis n’est pas dû en cas d’inexécution grave du cocontractant ou de force majeure. Encore faut-il caractériser la gravité objective de la faute, ou la survenance d’un événement imprévisible et irrésistible.

Sanction et réparation en cas de rupture brutale

Nature de la responsabilité

La responsabilité encourue est avant tout délictuelle selon la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, mais certains contentieux internationaux admettent une approche contractuelle lorsque la relation était tacite ou contractualisée (CJUE 2016 Granarolo, CA Paris 2019).

Indemnisation

L’indemnité réparatrice couvre le préjudice résultant uniquement du caractère brutal (et non la rupture elle-même), souvent calculée sur la perte de marge brute (chiffre d’affaires HT – coûts HT) que la victime aurait effectivement réalisée si un préavis raisonnable avait été respecté.

Encadré pédagogique
Le juge ne retient jamais des durées de préavis excessives : le plafonnement légal à 18 mois sert de référence.

Juridictions compétentes et contentieux

  • Sept tribunaux de commerce et la Cour d’appel de Paris sont compétents en France pour trancher ce contentieux spécifique (Bordeaux, Fort de France, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes et Tourcoing).
  • Les prescriptions et conflits de loi sont à intégrer en cas de litiges internationaux.

Exemples de clauses et précautions contractuelles

Exemple de clause d’aménagement du préavis

« Chacune des parties pourra mettre fin à la présente relation commerciale, sous réserve de respecter un préavis écrit d’une durée de X mois, compte tenu notamment de la durée de la relation, des usages et de la nécessité pour la partie évincée de se réorganiser. »

Attention
Aucune clause ne saurait priver un partenaire du droit à un préavis suffisant en cas de rupture hors inexécution particulièrement grave.

Jurisprudence récente et tendances pratiques (2023-2025)

  • La Cour de cassation veille strictement à la proportionnalité du préavis (ex : Cass. com., 19 mars 2025)
  • Le plafond légal de 18 mois a réformé la pratique antérieure où certains juges pouvaient exiger 24 mois pour des partenariats très anciens
  • Une baisse progressive des commandes, avec préavis progressif et sans brutalité, est désormais admise pour exclure la faute (Cass. com., mai et octobre 2025)

FAQ : les réponses aux principales questions

Quel est le délai de préavis pour rompre une relation commerciale ?

La durée dépend de l’ancienneté de la relation, des usages et circonstances ; elle ne peut dépasser 18 mois.

Qu’est-ce qu’une rupture brutale de relation commerciale ?

C’est la cessation totale ou partielle d’un courant d’affaires significatif, sans préavis écrit suffisant ou avec un préavis manifestement insuffisant.

Qu’est-ce qu’une relation commerciale ?

Voir première section – stabilité, durée, régularité, analyse in concreto du flux d’affaires.

Qu’est-ce qu’une rupture abusive d’un contrat commercial ?

Il s’agit d’un arrêt fautif au regard du contrat, qui peut se cumuler, sous conditions, avec la rupture brutale hors préavis suffisant.

Rupture relation commerciale sans contrat : est-ce possible ?

Oui, la jurisprudence retient que l’absence d’écrit n’empêche pas d’établir une relation commerciale protégée.

Où trouver les règles applicables ?

L’article L.442-1 du Code de commerce est la référence centrale, complétée par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CJUE.

Jurisprudence récente ?

Les tendances actuelles insistent sur la proportionnalité du préavis et la prise en compte de la situation économique et des comportements concrets pour caractériser la brutalité ou non.

Cet article se veut la référence complète, rigoureuse mais pédagogique, actualisée des solutions pratiques et contentieuses en matière de rupture des relations commerciales établies, à la fois pour l’entreprise désirant sécuriser la fin d’une relation, que pour celle subissant une cessation brutale et cherchant l’indemnisation de son préjudice.

À propos de l’auteur

Guillaume Leclerc, avocat au Barreau de Paris en contrats commerciaux et contentieux des affaires.

N'hésitez pas à me contacter pour toute question, je me ferai une joie de vous répondre !