Introduction : un mécanisme discret mais stratégique
La clause de renonciation à recours est présente dans de nombreux contrats commerciaux, notamment les baux commerciaux, les contrats d’assurance, et les protocoles transactionnels. Elle permet à une partie de renoncer à exercer une action en responsabilité contre son cocontractant ou son assureur en cas de dommage. En pratique, elle vise à répartir les risques entre les parties et à éviter les contentieux longs et onéreux.
Pour un dirigeant de PME, comprendre la portée de cette clause est essentiel : mal rédigée ou mal comprise, elle peut avoir des conséquences financières lourdes lors d’un sinistre ou d’un litige commercial.
Qu’est-ce que la renonciation à recours ?
La renonciation à recours est une stipulation contractuelle par laquelle une partie s’engage à ne pas exercer de recours en réparation contre une autre partie, même si celle-ci est responsable du dommage. Elle peut être unilatérale (lorsqu’une seule partie renonce) ou réciproque (lorsque les deux parties conviennent mutuellement de renoncer à tout recours, souvent via leurs assureurs).
Exemple concret
Prenons l’exemple d’un bail commercial : le locataire (preneur) renonce à exercer un recours contre le bailleur en cas d’incendie ou de dégât des eaux, quand bien même ce dernier serait fautif. L’assureur du locataire, qui indemnise son assuré, ne pourra donc pas se retourner contre le propriétaire ou son assureur.
Cela suppose une coordination étroite entre les contrats d’assurance du bailleur et du locataire.
Fondement juridique de la clause
Cette clause repose sur le principe de liberté contractuelle prévu à l’article 1102 du Code civil : les parties sont libres de déterminer le contenu de leur contrat, dans les limites de l’ordre public.
Toutefois, cette liberté est encadrée par des principes jurisprudentiels et doctrinaux :
- le respect de la bonne foi (article 1104 du Code civil) ;
- l’interdiction de priver le contrat de sa substance (article 1170 du Code civil) ;
- la nullité des clauses en cas de dol ou de faute lourde.
Ces garde-fous évitent qu’une clause ne transforme un contrat en instrument d’exonération totale de responsabilité contraire à l’équilibre contractuel.
La validité des clauses de renonciation à recours
Les conditions de validité
Pour être valable, une clause de renonciation à recours doit :
- être claire et non équivoque ;
- concerner des droits dont les parties ont la libre disposition ;
- ne pas vider le contrat de sa substance ;
- ne pas couvrir les fautes lourdes ou dolosives.
Jurisprudence récente
- Cour d’appel de Versailles, 26 février 2025 : une clause de renonciation à recours trop large, privant le locataire de tout droit de recours contre son bailleur, a été jugée nulle car contraire à l’article 1170 du Code civil – elle « vidait le contrat de sa substance ».
- Cour de cassation, 10 avril 2025 : dans un bail commercial, la clause de renonciation à recours ne saurait exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
Ces décisions rappellent l’importance d’une rédaction mesurée et proportionnée.
Les effets pratiques de la clause
En matière d’assurance
Sur le plan assurantiel, la clause de renonciation à recours a un effet direct : elle fait obstacle au recours subrogatoire de l’assureur de la partie indemnisée. L’assureur doit alors adapter sa cotisation, car cette clause accroît le risque assumé.
Point de vigilance : il ne faut jamais dissimuler à son assureur l’existence d’une telle clause, sous peine d’application de la règle proportionnelle d’indemnité prévue à l’article L.113-9 du Code des assurances, entraînant une réduction d’indemnisation.
En matière de bail commercial
Dans les baux commerciaux, la clause de renonciation à recours est fréquente entre bailleur et locataire afin de fluidifier la gestion des sinistres (incendie, dégât des eaux, vol, explosion). Elle peut être réciproque ou limitée à certains risques.
Exemples de clauses de renonciation à recours
Exemple 1 (bail commercial)
« Le preneur renonce, ainsi que son assureur, à tout recours contre le bailleur et ses assureurs pour tout dommage causé aux biens loués, quelle qu’en soit la cause. Le bailleur renonce à tout recours contre le preneur et son assureur pour tout dommage causé à l’immeuble. »
Exemple 2 (contrat commercial)
« Chaque partie renonce à tout recours, direct ou indirect, contre l’autre partie et ses préposés, pour tous dommages matériels survenus à l’occasion de l’exécution du présent contrat, et s’engage à obtenir de son assureur l’extension de garantie correspondante. »
Les précautions de rédaction à adopter
- Définir le périmètre exact : types de dommages couverts (incendie, dégâts des eaux, vol, etc.).
- Assurer la cohérence entre contrat principal et polices d’assurance.
- Limiter l’effet de la clause aux dommages assurables, pour éviter toute nullité.
- Exclure les fautes lourdes et intentionnelles.
- Préciser la réciprocité lorsque cela est souhaitable.
Clause de renonciation à recours réciproque : principe et intérêt
La clause de renonciation réciproque engage les deux parties à ne pas exercer de recours l’une contre l’autre, ni par elles-mêmes ni par leurs assureurs.
Ce type de clause est particulièrement adapté aux partenariats contractuels équilibrés (franchise, sous-traitance, coproduction, bail commercial mutualisé). Il est souvent perçu comme un gage de coopération et de confiance mutuelle.
Exemple pratique :
Dans un bail de centre commercial, chaque commerçant et le bailleur conviennent d’une clause de renonciation réciproque à recours, ce qui évite les contentieux croisés en cas d’origine incertaine d’un sinistre (incendie commun, inondation d’origine partagée, etc.).
Différence entre la clause de renonciation à recours et la clause limitative de responsabilité
| Type de clause |
Définition |
Effets juridiques |
Exemples d’application |
| Renonciation unilatérale à recours |
Une seule partie renonce par avance à exercer un recours contre l’autre en cas de dommage. |
Le recours judiciaire est interdit pour la partie renonçante ; la responsabilité de l’autre partie peut subsister pour les tiers. |
Le locataire renonce à agir contre le bailleur en cas de sinistre (incendie, dégât des eaux). |
| Renonciation réciproque à recours |
Les deux parties s’interdisent mutuellement d’exercer un recours l’une contre l’autre. |
Chacune supporte sa part de risque et renonce à tout recours, y compris via ses assureurs. |
Fréquent dans les baux commerciaux de galeries marchandes ou les contrats de sous-traitance logistique. |
| Renonciation étendue aux assureurs |
La renonciation s’applique aussi aux assureurs des parties, afin d’empêcher tout recours subrogatoire. |
L’assureur indemnisant une partie ne peut se retourner contre l’autre ; le risque est assumé totalement par l’assureRenonciation à recours dans les protocoles transactionnelsDans un protocole de transaction, la renonciation à recours joue un rôle central : elle garantit la paix contractuelle après le règlement d’un différend. Lorsqu’une partie s’engage à ne plus contester judiciairement un accord ou les faits en cause, cette clause sécurise la transaction et empêche toute remise en cause ultérieure. Exemple :« Les parties déclarent renoncer irrévocablement à toute action, réclamation, ou recours relatifs aux faits, causes ou conséquences du litige ayant donné lieu au présent protocole. » Les enjeux et limites pour les dirigeants de PMEPour un chef d’entreprise, signer un contrat contenant une clause de renonciation à recours sans en mesurer les effets peut exposer à : - une absence de couverture d’assurance dans certains cas ;
- une impossibilité de recours contre le cocontractant fautif ;
- une augmentation des primes d’assurance.
L’analyse par un avocat spécialisé permet d’adapter la portée de la clause aux réalités de l’entreprise et de préserver son équilibre contractuel. FAQ : les questions les plus fréquentesQu’est-ce qu’une clause de renonciation à recours ?C’est une stipulation par laquelle une partie s’engage à ne pas poursuivre l’autre, même en cas de dommage causé. Elle vise à fluidifier les relations et à transférer une partie du risque vers l’assurance. Quelle est la validité d’une clause de renonciation à recours ?Elle est valable si elle ne viole pas l’ordre public, ne couvre pas la faute lourde ou le dol, et ne prive pas le contrat de sa substance. Les tribunaux apprécient cette validité selon la clarté du texte et l’équilibre global du contrat. Que signifie « renoncer à une réclamation » ?Cela signifie qu’une partie renonce, de manière anticipée ou constatée, à toute action judiciaire ou administrative pour solliciter une réparation d’un dommage ou manquement. Peut-on utiliser un modèle de clause type ?Les modèles standard doivent être adaptés à chaque contrat. Une clause mal calibrée peut être jugée inopposable ou causer une défaillance d’assurance. Qu’en est-il de la clause de renonciation à recours du locataire contre le propriétaire ?Elle est fréquente dans les baux commerciaux et vise à éviter les actions croisées en cas de sinistre. Toutefois, elle n’exonère pas le bailleur de ses obligations essentielles (par exemple, la délivrance conforme des locaux). Est-ce possible d’intégrer une clause de renonciation dans un protocole transactionnel ?Oui, c’est même courant. Elle permet d’éviter toute action future liée au litige résolu par la transaction, assurant ainsi la stabilité de l’accord. Un mécanisme à manier avec précautionLa clause de renonciation à recours est un incontournable de la gestion contractuelle des risques, mais elle doit être maniée avec précision et prudence. Son efficacité dépend avant tout d’une rédaction claire, d’une compatibilité avec les assurances et d’une analyse juridique en amont. Attention : la matière est encadrée par des principes d’ordre public et des décisions de jurisprudence récentes. Le recours à un avocat spécialisé en droit des contrats commerciaux est vivement conseillé pour évaluer les conséquences d’une telle clause dans votre activité. Article rédigé par Guillaume Leclerc, avocat en contrats commerciaux et contentieux commerciaux à Paris. |