Commercial contracts
29/9/25

La stipulation pour autrui : mécanisme, enjeux et exemples concrets

La stipulation pour autrui, mécanisme clé du droit des contrats, permet d'accorder un droit à un tiers dans un contrat. Découvrez les contours juridiques, exemples concrets, différences avec la délégation et la promesse de porte-fort, et une FAQ détaillée pour maîtriser cet outil en pratique.

Introduction à la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui est un pilier du droit des contrats français, offrant la possibilité d'accorder directement un droit à un tiers absent lors de la conclusion du contrat. Cette technique contractuelle trouve de nombreuses applications, tant dans la vie civile que commerciale, et mérite une analyse approfondie au regard de la réforme du Code civil de 2016, de la jurisprudence récente et de la doctrine.

Définition et régime juridique de la stipulation pour autrui

Notion et fondement (Code civil, doctrine et analyse)

La stipulation pour autrui est prévue à l’article 1205 du Code civil : c’est une convention par laquelle une partie (le promettant) s’engage envers une autre (le stipulant) à accomplir une prestation au profit d’un tiers (le bénéficiaire), qui se voit alors reconnaître un droit personnel à l’exécution de cette prestation.

Exemple d’utilisation claire :
Un assureur (promettant) s’engage, dans un contrat conclu avec un souscripteur (stipulant), à verser une somme d’argent à un bénéficiaire (le tiers) en cas de réalisation du risque assuré.

Les parties à la stipulation pour autrui

  • Le stipulant : celui qui fait stipuler le droit au profit du tiers.
  • Le promettant : celui qui s’engage contractuellement à accomplir l’obligation.
  • Le tiers bénéficiaire : la personne à qui le bénéfice du contrat est destiné.

Ce triptyque distingue nettement ce mécanisme des autres techniques d’engagement vis-à-vis d’un tiers.

Régime juridique : naissance et effets de la stipulation

Le bénéfice est acquis au tiers dès la formation du contrat, sauf clause contraire. Le bénéficiaire peut accepter ou refuser ce droit, et l’acceptation est parfois expresse, parfois tacite.

Encadré pédagogique :
Il est possible de stipuler pour un tiers encore indéterminé au jour de la conclusion du contrat, à condition qu’il soit déterminable lors de l’exécution.

Les principales applications pratiques de la stipulation pour autrui

Contrats d'assurance-vie et de prévoyance

Le contrat d’assurance-vie est sans doute l’application la plus emblématique de la stipulation pour autrui : le souscripteur fait stipuler au profit d’un tiers bénéficiaire qui recevra le capital assuré en cas de décès.

Contrats de transport et de prestation de services

Dans les contrats de transport, le donneur d’ordre peut faire stipuler que le transporteur remette la marchandise à un tiers bénéficiaire. Il en va de même pour le bénéficiaire désigné d’une carte cadeau ou de certains bons de commande.

Relations commerciales complexes (distribution, franchise, etc.)

Certaines clauses de contrats de réseau ou de sous-traitance peuvent bénéficier à des tiers, par exemple lorsqu’un franchiseur impose au fournisseur de consentir des conditions tarifaires à un affilié.

Conditions de validité de la stipulation pour autrui

Consentement des parties et détermination du bénéficiaire

Le consentement du promettant et du stipulant doit être total et éclairé, la prestation doit être licite et possible, et le bénéficiaire peut être une personne déterminable à la date d’exécution.

Effets à l’égard du bénéficiaire

Le bénéficiaire reçoit un droit direct qu’il peut accepter ou refuser. L’acceptation est irrévocable envers le promettant. Le stipulant peut révoquer la stipulation jusqu’à cette acceptation.

Révocation de la stipulation

Tant que le bénéficiaire n’a pas accepté, la stipulation demeure révocable sauf clause expresse d’irrévocabilité. Après acceptation, le droit devient ferme au profit du tiers.

Schéma contractuel et exemple de clause de stipulation pour autrui

Schéma d’articulation des parties au contrat

Stipulant ↔ Promettant ––(Obligation)––> Bénéficiaire

Exemple de clause contractuelle

« Le fournisseur (Promettant) s’engage, à la demande de la société X (Stipulant), à garantir au client final (Bénéficiaire) la disponibilité des pièces détachées pour une durée de 5 ans à compter de la vente du produit. »

Cas concret issu de la jurisprudence

Cour de cassation, 1re civ., 21 mars 2018, n°16-26.126 :
Un salarié, bénéficiaire d’une stipulation pour autrui insérée dans un contrat d’assurance collective, est fondé à agir directement contre l’assureur, indépendamment de toute action du stipulant (l’employeur), démontrant l’autonomie du droit du tiers.

Distinctions essentielles : stipulation pour autrui, promesse de porte-fort, délégation

Stipulation pour autrui vs promesse de porte-fort

  • Stipulation pour autrui : le promettant s’engage directement envers le bénéficiaire, même s’il est tiers au contrat.
  • Promesse de porte-fort : une partie promet l’exécution d’une obligation par un tiers; le bénéficiaire n’acquiert aucun droit direct, mais peut obtenir des dommages-intérêts si le tiers n’exécute pas.

Stipulation pour autrui vs délégation

  • Stipulation pour autrui : le tiers devient titulaire d’un droit.
  • Délégation : une personne (le délégant) donne instruction à un tiers (le délégataire) de payer le délégataire. Les liens contractuels diffèrent et la délégation peut être simple ou parfaite selon la substitution des créances.

Les limites et risques liés à la stipulation pour autrui

Exception d’inexécution et moyens de défense du promettant

Le promettant dispose envers le bénéficiaire des mêmes moyens de défense qu’il aurait contre le stipulant.

Nullité et inexécution du contrat support

La caducité ou nullité du contrat principal entraîne la caducité de la stipulation pour autrui.

Encadré : Sécurisation de la clause pour les parties

En pratique, il est recommandé d’anticiper dans le contrat principal les modalités précises de la mise en œuvre de la stipulation : mode d’acceptation du bénéficiaire, effets de la révocation, articulation avec d’autres garanties, etc.

Stipulation pour autrui en anglais et perspective comparative

En droit anglais, la notion de “third-party beneficiary clause” existe, mais le régime juridique diverge, le principe général « privity of contract » interdisant, hors exceptions, d’accorder de droits à des tiers dans un contrat. Toutefois, le Contract (Rights of Third Parties) Act 1999 permet, depuis une réforme récente, de reconnaître certains droits aux tiers bénéficiaires, dans des limites cependant plus restreintes qu’en droit français.

Jurisprudence récente et analyse doctrinale

L’évolution récente de la jurisprudence confirme que le tiers bénéficie d’un droit d’agir pleinement autonome contre le promettant. L’inflexion de la Cour de cassation en matière d’acceptation, d’irrévocabilité et de preuve du bénéfice traduit un souci d’efficacité contractuelle. Les analyses doctrinales, unanimes sur la modernisation du régime, appellent cependant à une vigilance : la qualification de la stipulation n’est pas automatique et dépend d’une volonté claire des parties.

FAQ : Questions fréquentes sur la stipulation pour autrui

Qu'est-ce qu'une stipulation pour autrui ?

C’est un mécanisme permettant à deux parties de conférer directement un avantage ou un droit à un tiers, sans qu’il soit partie au contrat initial.

Quelle différence entre la promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui ?

La stipulation pour autrui confère un droit personnel au tiers bénéficiaire, qui peut agir directement. La promesse de porte-fort, en revanche, n’octroie aucun droit direct au tiers, mais prévoit une indemnité au bénéficiaire en cas d’inexécution.

Qu’est-ce qu’une stipulation en droit ?

Une stipulation désigne toute clause ou disposition d’un contrat. La stipulation pour autrui est une clause contractuelle spécifique qui vise à créer un droit au profit d’un tiers.

Quelle différence entre délégation et stipulation pour autrui ?

La délégation est un mécanisme par lequel une personne impose à un tiers d’exécuter une obligation au profit d’un créancier. La stipulation pour autrui permet simplement d’attribuer un droit au tiers : elle ne suppose pas la création d’une nouvelle obligation.

Stipulation pour autrui : exemples concrets

  • Assurance-vie : versement au bénéficiaire désigné.
  • Contrat de transport : livraison à un tiers.
  • Franchise : conditions commerciales imposées à des sous-traitants bénéficiaires.

Stipulation pour autrui : article du Code civil

Articles 1205 à 1208 du Code civil organisent le régime, en détaillant la formation, l’acceptation et la révocation de la stipulation.

Stipulation pour autrui in English

On parle généralement de « third-party beneficiary », en droit anglais et américain, pour désigner le mécanisme équivalent, dont le régime est néanmoins moins large qu’en France.

Conseils pratiques pour la rédaction et la sécurisation d’une stipulation pour autrui

  • Soyez clair sur l’identité du bénéficiaire ou les critères de sa détermination.
  • Prévoyez les modalités d’acceptation et de révocation du bénéfice.
  • Encadrez l’articulation de la stipulation avec d’autres garanties contractuelles.
  • Faites figurer explicitement la clause dans le contrat principal.

Conclusion : la portée stratégique de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui est un vecteur de sécurité juridique et de souplesse pour accorder des droits à des tiers sans multiplication contractuelle. Son maniement maîtrisé permet de renforcer la performance des clauses, notamment en contexte B2B, assurances et distribution.

Article rédigé par Guillaume Leclerc, avocat en contrats commerciaux et contentieux commerciaux à Paris.